Soudan: plus de 770 km d'exode pour les déplacés d'El-Facher
Des réfugiés soudanais de tous âges partis d'El-Facher racontent à l'AFP leur exode épuisant: la faim, la soif, les cadavres sur la route, les contrôles, les fouilles brutales, les scènes de violence.
Certains ont dû parcourir à pied les 770 km qui séparent la capitale du Darfour-Nord, tombée aux mains des paramilitaires soudanais, du camp de déplacés d'Al-Dabbah, dans l'Etat du Nord.
Au total, près de 100.000 civils ont fui la ville assiégée et ses environs après la conquête par les Forces de soutien rapide (FSR) du dernier bastion tenu par l'armée au Darfour, le 26 octobre, selon les dernières estimations de l'ONU.
Environ 50.000 d'entre eux ont rejoint Al-Dabbah, selon les autorités pro-armée.
Depuis avril 2023, la guerre au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés, provoquant ce que l'ONU qualifie de "pire crise humanitaire au monde".
Les négociations pour une trêve humanitaire sont dans l'impasse depuis des mois, les deux camps s'efforçant de renforcer leurs positions sur le terrain et leur légitimité pour prendre les rênes du pays.
Zahra - "des cadavres partout"
"Nous sommes arrivés ici à bout. Nous pensions que nous allions mourir, il n'y avait ni nourriture, ni eau. Les rues étaient impraticables et c'était le désert.
Entre le moment où nous sommes partis et arrivés à Al-Dabbah, il a fallu 16 jours. Les routes étaient impraticables: des gens morts dans les rues, des gens étendus dans les rues, des cadavres partout. Partout où on regardait, on voyait des morts."
Houssein - "comme un film d'horreur"
"Dès que nous sommes sortis d'El-Facher, un périple sans humanité a commencé. À un kilomètre d'El-Facher, un homme nous a braqués avec une arme. (...) Là ont commencé les fouilles et les insultes.
Ils ont pris l'argent, les téléphones et l'or. Ils ont fouillé les femmes d'une manière terrible. (...) Une femme lui a même dit: +J'ai mes règles+, en vain.
La route était effrayante. On voyait des cadavres partout. Des corps d'adultes, des corps d'enfants, des vêtements jetés au sol. C'était comme dans un film d'horreur.
A Al-Hamra, nous avons trouvé un poste de contrôle des FSR. Ils nous ont fait descendre des véhicules. (...) Ils ont pris à part neuf jeunes hommes, ils les ont accusés d'être des soldats et ont commencé à les torturer. Ils les ont frappés à la tête avec leurs pieds".
Souleiman - "comme si nous n'étions pas des humains"
"Ils ont touché les femmes, enlevant même leurs sous-vêtements. Ils ont pris les téléphones, l'argent, tout ce qu'ils trouvaient.
Puis nous avons trouvé un groupe de jeunes de moins de 25 ans. Ils ont commencé à nous fouiller comme si nous n'étions pas des humains. Nous avons entendu les pires insultes, des mots qui ne se disent pas aux humains.
Nous avons vu des cadavres de jeunes hommes sur la route. Nous ne savons pas comment ils sont morts.
Ils ont presque tout mon argent: 40.000 livres que j'avais cachées un peu partout sur moi".
Mohamed, 12 ans - "ils voulaient violer mes soeurs"
"Ils ne nous ont pas laissés tranquilles. Ils voulaient violer mes sœurs et ma mère leur a dit: +Violez-moi, mais ne violez pas les filles.+ Puis ils nous ont jeté des pierres et nous sommes partis."
Mazaher - "ils se vantent d'avoir pris la virginité"
"Nous les filles, lorsque nous marchons ensemble, nous appliquons du henné sur nos mains, même lorsque nous ne sommes pas mariées, car les FSR préfèrent que les filles ne soient pas mariées. Ils se vantent de tuer, ils se vantent d'avoir pris la virginité d'un grand nombre de filles. L'un d'eux a dit: +J'en suis à 40 filles.+"
Kifah - jeune mère "épuisée"
"Nous avons marché à pied (depuis El-Facher) alors que j'étais enceinte, ils n'ont pas vu que je portais ma fille", née peu après l'arrivée au camp en l'absence de son père tué dans les violences qui ont déchiré El-Facher. La route "m'a épuisée, à cause du manque de nourriture et d'eau, nous n'avions rien à boire".
E.Prieto--GBA